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dimanche 7 juillet 2013

Le Necronomicon

La première source faisant mention de ce mystérieux grimoire est le célèbre romancier H. P. Lovecraft. Voici l'essentiel de ce qu'il nous en dit.

L'auteur ce grimoire serait un certain Abdul al Hazred, un poète fou de Sanaa (Yemen), qui aurait vécu vers 700 et aurait disparu en 738 et qui aurait rendu un culte à Yog-Sothoth et à Chtuluh. Un biographe arabe du XIIème siècle, Ibn Khalikan, aurait affirmé que al Hazred aurait été dévoré en public par une sorte de monstre.

Selon Lovecraft, donc, le titre original du Necronomicon serait Al Azif. Il aurait été traduit en grec en 950 par un certain Theodorus Philetas de Constantinople sous le nom de necronomicon, puis interdit par le patriarche Michaël. Lovecraft affirme que ce serait en 1228 qu'un certain Olaus Wormius traduit le grimoire en latin (une impression en Allemagne au XVème  siècle, et une autre en Espagne au XVIIème siècle). L'ouvrage aurait été interdit par Grégoire IX en 1232. Une copie secrète aurait été existé à San Francisco mais elle aurait disparue dans le célèbre incendie... Lovecraft évoque encore une impression de la version grecque en Italie entre 1500 et 1550, "disparue dans l'incendie d'une bibliothèque de Salem en 1692. Enfin, une autre traduction aurait été faite par John Dee basée sur la version "originale". Il existerait encore une copie au British Museum (XVème siècle), une autre à la Bibliothèque Nationale de France (XVIIème siècle), une autre édition du XVIIème siècle à la Bibliothèque Widener (Harvard),  d'autres dans les bibliothèques respectives de la Miskatonic University d'Arkham et de l'Univerité de Buenos Aires. Une copie du XVème siècle est évoquée dans la collection "d'un certain millionaire américain", une autre copie chez la famille Pickman, disparue avec l'artiste R.U. Pickman en 1926.

De son côté, Colin Wilson commence son enquête en se basant sur les propos d'un  certain Darleth qui affirme que Lovecraft se serait en fait  inspiré d'un poème latin intitulé Astronomica, dont l'auteur serait un certain Manilius. En 1967, Sprague de Camp, travaillant alors sur une biographie de Lovecraft, fréquenta entre autre un général, directeur des antiquités en Irak, qui aurait évoqué un manuscrit écrit dans une ancienne langue proche de l'arabe. Toujours selon de Camp, lors d'un diner, Alan Nourse aurait affirmé que azif désignait le bruissement des insectes nocturnes, que l'on associait souvent aux êtres démoniaques. Ce mot, selon le général, serait issu de l'akkadien; l'ouvrage serait écrit en encre noire sur parchemin, dans la langue duriaque, encore parlée par les anciens de Duria, une ville kurde du nord de l'Irak. Mais Reinhold Carter jugea ce parchemin comme unfaux du XIXème siècle. En 1969, le général souhaite racheter le manuscrit au plus cher, et en 1973, on en aurait édité le fac-similé à la Owlswick Press (Philadelphie).

Robert Turner, le fondateur de l'Ordre de la Pierre Cubique, aurait écrit un commentaire du  Necronomicon. Turner semble soutenir la remarque de Wilson sur un écho qu'il y aurait entre la mythologie de Lovecraft et la Doctrine Secrète de H-P. Blavatsky, qui ne serait elle-même qu'une sorte de commentaire du "Book Of Dzyan". Cet ouvrage fut longtemps tenu pour une invention de Blavatsky, mais certains orientalistes respectables le tienne pour authentique (notamment Christmas Humphreye). Authentique ou invention, Turner et Wilson semlent tout à fait d'accord pour dire que le Book of Dzyan pourrait très bien être à l'origine du Necronomicon. Par ailleurs, Lovecraft aurait été, selon Turner, en contact avec des documents médiévaux comme  le célèbre Sword Of Moses.

En 1976, durant l'été, une autre piste s'ouvre à Wilson. Le père de Lovecraft aurait été initié à la maçonnerie du rite égyptien. L'information sera confirmée par le Dr Hinterstoisser, qui affirme entre autre que Lovecraft père possédait "le Picatrix de Maslama Ibn Ahma-al-Magriti, connu sous le pseudo-Magriti, ou encore le Book of Essence of the soul de Godziher. Hinterstroisser affirme aussi que Cagliostro (le fondateur historique du rite égyptien) aurait légué à ses disciples un manuscrit "original" du Necronomicon (dans une lettre du 4 août 1976). Demandant des éclaircisements, Wilson apprend que le "Ya'kub ibn Ishâk ibn Sabbah al-Kindi,mort vers 850 ap. JC, est l'auteur du Book of the Secret Names, qui ne serait en fait que le chapitre 9 de la deuxième partie d'une plus grande compilation; l'ouvrage général serait le Kitab ma'ani al-nafs, qui est le Livre sur l'essence des âmes. Les textes qui y sont compilés seraient viendraient en partie de la Bibliothèque d'Assurbanipal. Le chapitre 9 de la deuxième partie de cet ensemble s'intitule "De l'histoire des anciens", et, d'après Wilson, ce serait bien là la base du Necronomicon (ce point sous-entend que Wilson a consulté la compilation...).

Selon la même source, on parle encore d'un Grand Cèdre qui aurait appris à Lovecraft père comment lire le Necronomicon; ce serait peut-être un certain Fouquier-Tinville qui aurait obtenu ce texte "non sans torture" des disciples de Cagliostro. Apprenant qu'une copie de la compilation d'Alkindi a été référencée dans la Bibliothèque de Rodolphe II, à Prague, Robert Turner fait le lien avec le séjour que Dee et Kelly firent dans la même ville au service du roi. On évoque encore le fait que dans une lettre de John Dee, il est question de Dunwich, à l'est de Suffolk...

Toutes ces informations se trouvent dans l'étonnante édition française de 1996. Etonnante en effet, car pour ainsi dire aucune des nombreuses énormités historiques ne sont remarquées. Pour le moment, je n'ai trouvé aucune trace d'un Abdul al-Hazred, ni aucune trace d'un manuscrit du nom de Al Azif, et personne ne semble avoir d'élement probant, fut-il des plus fumeux. Impossible également d'identifier le Theodorus Philetas de Constantinople. Il y a bien eu un dominicain du nom d'Olaus Wormius, mais  il  n'est pas né avant 1588,  soit plus de trois cent ans après la soi disante traduction en latin du Necronomicon... Mais par quel sombre mystère aucun des commentateurs publiés dans la récente édition du dit Necronomicon n'a fait le point sur toutes ces erreurs factices ? A l'évidence, on sent bien que la présentation faite par Lovecraft vise à conférer une aura de soufre et d'intrigue autour de sa propre création littéraire. Et si Langford et d'autres tentent coûte que coûte de nous faire croire à l'authenticité de ce mystérieux ouvrage en y connectant les travaux de John Dee (le Necronomicon ne serait autre chose que le texte crypté connu sous le nom de Liber  Logaeth...) en dépit des signes les plus solide de son inauthenticité, c'est probablement en vue de maintenir cette aura qui règne autour de toute l'oeuvre de Lovecraft. Pensez-vous, il faut bien conserver nos chers éditeurs bien en chair...

Une autre source, qui nous laissera surement tout aussi sceptique, réaffirme la proximité qu'il y a entre le Necronomicon et La Doctrine Secrète de Blavatsky. On y affirme également l'existence du Al Azif tout en reconnaissant l'absence totale de trace du manuscrit arabe. Une traduction latine aurait été faite en 1487 par "le prêtre dominicain Olaus Wormius", présenté comme natif d'Allemagne et secrétaire du Grand Inquisiteur Torquemada. Le manuscrit aurait été saisi durant la persécution des Maures qui se sont ensuite convertis au catholicisme. "Ce livre a dû exercer une fascination obsessive pour cet homme, car il fut finalement accusé d'hérésie et brûlé vif après avoir envoyé une copie à Trithème, alors abbé de Spanheim. Une lettre d'accompagnement aurait contenu une interprétation détaillée et blasphématoire de certains passages du livre de la Genèse. Toutes les copies diparurent avec Wormius, bien qu'on prétende qu'il y en ait peut-être encore un exemplaire au Vatican...

En 1586, une copie du manuscrit latin de Wormius refait surface à Prague. C'est Edward Kelly qui l'aurait acheté au "Rabbi Noir", le kabbaliste Jacob Eliezer, qui avait fui l'Italie suite à de prétendues accusations de nécromancie. John Dee aurait traduit ce manuscrit en anglais lorsqu'il était gardien du Christ's College, à Manchester, mais - contrairement à ce qu'affirme Lovecraft - cette traduction n'a jamais été imprimée. Le manuscrit aurait fait partie de la grande collection d'Elias Ashmole pour finir ensuite dans la Bodleian Library, à Oxford.

La même source nous apprend par ailleurs que peu avant que Lovecraft ne rencontre sa future épouse Sonia Greene, celle-ci avait fréquenté Aleister Crowley à partir de 1918, peut-être par le biais de salons littéraires où notre mage bien-aimé devait avoir un certain succès (peut-être le Walker's Sunrise Club). Ce point serait confirmé par la correspondance de Crowley avec Norman Mudd, dans laquelle il parle de Greene nommément.

Hélas, on ne sait pas ce que Crowley a transmis à Greene ; on ne sait pas non plus ce que Greene a transmis à Lovecraft. Greene et Lovecraft se sont rencontrés en 1921, année pendant laquelle l'écrivain mentionna pour la première fois le nom d'Abdul Alhazred (The Nameless City). Et c'est en 1922, dans The Hound, qu'il mentionne pour la première fois le Necronomicon. Greene et Lovecraft se marièrent le 3 mars 1924. On pourrait alors comprendre les "échos" qu'il y a entre le  Liber Legis et les "appels" lovecraftiens. Non pas que Lovecraft en ait eu forcément connaissance, mais il est possible que Greene était inspirée par ses soirées avec Crowley et que, par voie de fait, ces idées furent insufflées lorsqu'elle se retrouvait avec Lovecraft.

Toujours selon la même source, Lovecraft n'aurait jamais eu accès à l'"original" du Necronomicon ; même si l'esprit de la version Lovecraft en est très proche, les détails semblent relever de la pure invention. "Il n'y a pas de Yog Sothoth ou Azathoth ni de Nyarlathotep dans l'original, mais il y a un Aïwaz" affirme-t'on ; mais pour l'instant, dans la mesure où "l'original" n'est toujours pas identifié, on ne peut pas vérifier cette information.

Le Necronomicon aurait été finalement en possession des Nazis ; on évoque des "documents" dans la région de Salzburg. Une autre rumeur affirme encore l'existence d'une copie du grimoire faite sur la peau des victimes des camps de concentration...

***

A priori, quelles que soient les sources consultées, tout ce qui touche à l'existence même du Necronomicon relève de la spéculation et du sensationalisme. On ne trouvera pour ainsi dire rien de tangible au sujet d'un quelconque ouvrage du nom de Al Azif, ni au sujet d'un Abdul Al Hazred. Rien non plus au sujet de ce que rapporte un Ibn Khallikan. Les informations au sujet d'un Theodorus Philetas sont trop maigres pour être exploitables, et il n'y a aucune trace d'une quelconque traduction grecque ni d'un traité intitulé "nekronomikon", ni rien sur le fait que cette traduction ait été brûlée en 1050, ni avant ni après, par le Patriarche Michael.

A partir de ce point, nos deux sources divergent. Pour Lovecraft, comme nous l'avons vu, le texte grec arrive néanmoins en possession d'Olaus Wormius en 1228, tandis que notre deuxième source situe ce fait en 1487 et présente Wormius comme étant au service de Torquemada. Les deux affirmations sont bien évidemment fausses si l'on tient compte du fait que Wormius n'était pas encore né !! Il n'y a par ailleurs aucune trace d'un homonyme ni au XIIIème siècle, ni au XVème siècle. Quels que soient les points évoqués par les deux pistes, il n'y a absolument rien de vérifiable.

Il est vrai par exemple qu'en 1487, L'inquisition espagnole était bien dirigée par Torquemada, et il y a eu effectivement beaucoup de livres de toutes sortes en hébreux et en arabes qui furnet brûlés. Mais Wormius est né en 1588. Il n'a pas pu être au service de Torquemada ni  être accusé d'hérésie et brûlé vif. Pas de trace d'un équivalent, rien sur sa correspondance à Trithème. Aucun historien de la magie ni passionné ne fait état d'un document semblable au Necronomicon dans les documents de Trithème.

Il est également vrai que Dee et Kelly étaient à Prague en 1586, mais les informations relatives à leur contact avec Jacobus Eliezer ne sont pas très fiables, et il n'y a a priori rien concernant les accusations de nécromancie à l'encontre du "Black Rabbit" hormis ce que relatent les billets traitant de Necronomicon. Par ailleurs, ce point ne colle pas avec la piste Wilson-Turner qui affirme le lien avec le Liber Logaeth de John Dee, puisque ce Liber a été consigné entre le 23 mars et le 18 avril 1583 (cf. Mysteriorum Libri Quinque de la collection privée d'Elias Ashmole).

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