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vendredi 17 février 2012

Traditions de la magie dans la Haute antiquité

(traduction adaptée)

La "magie, que les savants modernes ont fini par admettre à contrecoeur, est une catégorie très difficilement accessible. Aucune définition de la "magie" n'a encore trouvé d'acceptation universelle, et d'innombrables tentatives de la séparer de la "religion" d'une part, et de la science d'autre part, ont parfois porté leur fruit. Le problème réside, dans une large mesure, dans le fait que ce qu'une société peut qualifier de "magie", une autre pourra l'appeler "religion", une autre "science", de sorte qu'en choisissant une appellation nous prenons implicitement parti alors que les définitions contradictoires soient en concurrence les unes avec les autres, ou nous courons le risque d'imposer nos propres catégories à des sociétés dans lesquels ces catégories n'auraient aucun sens.

Compte tenu de ces difficultés, la présente exposition ne tentera aucune définition de la magie ancienne. Son objectif est beaucoup plus modeste -- simplement de présenter des matériaux des collections de l'Université du Michigan qui pourraient s'avérer utiles pour toute discussion sur la magie et ses praticiens du bassin méditerranéen et du Proche-Orient du 1er au 7ème siècle après J.-C., une période qui a vu les traditions magiques de cultures différentes s'unir et se fondre dans une forme inédite de praxis magique internationale et même mutlicuturelle, avec ses propres rituels, symboles et mots de pouvoir. Présenter les éléments de preuves disponibles, et pointer vers quelques-unes des interrelations entre les différentes types de preuves ainsi que des origines possibles de certains motifs et certaines pratiques qu'on y trouve, ce ne sont là que les premières étapes vers la compréhension, mais ce sont néanmoins des étapes cruciales. En outre, le fait que jusqu'à tout récemment cet aspect de cette civilisation que nous appellons gréco-romaine a reçu beaucoup moins d'attention qu'elle n'en mérite rend une telle exposition encore plus importante. Enfin, l'étude de la magie antique peut nous apprendre beaucoup non seulement sur la société ancienne, mais sur la nature humaine et les structures sociales en général, d'autant qu'elles se rapportent à la production, à l'accumulation et à la transmission des connaissances sur les pouvoirs "d'en-haut" et les pouvoirs "d'en-bas". La magie, après tout, n'est que la manifestation de la volonté humaine innée de contrôler - contrôler notre environnement naturel, contrôler notre monde social et, éventuellement, contrôler notre propre destin. Les techniques peuvent avoir changé au cours des quinze derniers siècles, mais les objectifs restent les mêmes.

Le présent exposé est divisé en trois sections: l'une traite de manuels de pratiques magiques, une autre présente divers dispositifs de protection, et la troisième présente quelques-unes des utilisations les plus agressives de la magie. Les vitrines murales présentent des photographies agrandies de quelques-uns des articles, ce qui permet un examen plus approfondi ces derniers dans les moindres détails.

Le présent catalogue contient des traductions pour la plupart des articles, accompagnées de brefs commentaires et de notes. Il faut souligner, cependant, que les traductions comme les notes sont provisoires - les textes et les images défient souvent l'interprétation, et il reste beaucoup d'inconnu. Si l'exposition présente contribue à leur intérêt croissant ainsi qu'à une étude plus approfondie de ces sources intrigantes, il aura atteint son objectif.

Livre de recettes

La pratique de la magie antique était tout à fait comme celle de la cuisine moderne. Tout comme aujourd'hui, alors que tout le monde peut cuisiner, mais seulement une partie peut bien cuisiner, n'importe qui dans le monde antique pouvait faire une amulette simple ou fustiger un démon capricieux, mais seulement très peu se spécialisaient dans ces activités et obtenaient des résultats supérieurs.

Et, tout comme les cuisiniers modernes, ces anciens praticiens avaient leurs propres carnets de note, où leurs secrets soigneusement accumulés ont été conservés - des recueils de recettes, des astuces, des notes et des idées, qui furent empruntés ou adaptés par d'autres ou développés de manière indépendante. Chaque recette a été testée, améliorée, et, dans certains cas, transmises à des clients, des collègues, des disciples ou des successeurs.

Etant le principal véhicule pour la transmission de traditions magiques, ces livres étaient souvent la cible de la répression, en particulier de la part des chrétiens, mais pas exclusivement (cf. Act. 19:19). Heureusement, certaines de ces collections ont survécu. Puisqu'elles ont été normalement écrites sur papyrus, un matériau organique périssable, les spécimens qui ont survécu viennent tous de l'exploitation des sables secs de l'Egypte, et sont écrits soit en grec soit  en égyptien. Cependant, les livres de recettes similaires - en hébreu, en araméen et en arabe - ont été trouvés dans la Genizah du Caire (le papier utilisé dans le cellier d'une synagogue médiévale au Caire, Egypte), et de nombreux manuscrits médiévaux - en grec, en latin, en arabe, et de nombreuses autres langues - témoignent de la vitalité de tels livres de recettes sous diverses formes tout au long de Moyen Age.

Consistant en grande partie en des  travaux manuels de praticiens individuels, de telles collections varient considérablement en longueur et en qualité - d'une recette personnelle griffonée sur un petit morceau de papyrus arraché à un rouleau utilisé précédemment, à des longues anthologies de douzaines de recettes, méticuleusement copiées et somptueusement annotées. En outre, parce qu'ils étaient destinés à l'usage privé de leurs propriétaires, ils contiennent souvent de brèves instructions, telles que "(répétez ceci) trois fois", ou un "etc...", quand seulement quelques mots d'une incantation bien connue du propriétaire étaient écrits. Ce genre de notes abrégées, et en l'absence d'un classement systématique des sortillèges - pour ne pas mentionner une préface ou un index - auraient constituer un livre de recettes difficile à utiliser pour quiconque n'étant pas très familiarisé avec ce type de contenu. Dans de rares cas, les recettes ont été écrites dans un chiffrement spécial, apparemment inventé par un praticien dans ce but précis, et dans ce cas de figure aucun étranger ne pouvait faire aucun usage des recettes codées.

Malheureusement, les livres de recettes ne mentionnent jamais les noms de leurs propriétaires, même si, dans certains cas, l'identité du propriétaire peut être déduite, au moins approximativement, selon la provenance du papyrus. Dans de rares cas, le propriétaire notait d'où venait une recette spécifique, et des notes telles que "Ceci est une recette qu'un physicien de l'Oryrhinchite m'a donnée" (PDM xiv. 528), ou "J'ai entendu de la part d'une personne d'Herakleopolis que..." (PGM V.372), peuvent nous apprendre quelque chose à propos des voies de transmissions des recettes elles-même. Dans un cas, nous avons même brève note d'un praticien à lui-même (Suppl. Mag. I, 5) : "L'amulette contre l'amygdalite pour la plaque d'or - écris-la sur un morceau de papyrus mot pour mot, et envoie-là à Sarmates" une autre indication de la façon dont ces recettes ont été diffusées.

1. PMich 3, 154 (=inv. 7) = PGM LXX  

Egypte
3e ou 4e siècle après J.-C.
Papyrus
 

Texte : ... nom ... un charme favorable, un charme pour dissoudre un sort, une amulette, et un charme de victoire : "aa emptôkom basum, protège-moi."

Charme d'Hekate Ereschigal contre la peur de la punition : Si elle vient de suite, qu'elle dise "Je suis Ereschigal", en tenant son pouce, et rien de mal ne peut lui arriver. Mais si elle vient auprès de toi, tiens ton talon droit et dis : "Ereschigal, vierge, chienne, serpent, couronne, clé, baguette magique, d'or est la sandale de la Dame du Tartare", et elle t'emportera.

"Askei kataski erôn oreôn iôr mega semnuêr bauï," (trois fois) "Phobantia, souviens-toi, j'ai été initié, et je suis descendu dans la chambre des Dactyles, et j'ai vu les autres choses en bas, vierge, chienne etc." Dis-le à la croisée des chemins, puis fais demi-tour et enfuis-toi, car c'est dans ces endroits qu'elle apparaît. Dis-le tard dans la nuit, dis ce que tu souhaites, et cela te sera révélé dans ton sommeil ; et si tu es entraîné vers la mort, dis ceci en semant des graines de sésame, et tu seras sauf.

""Phorba phorba breimô azziebua." Prend du son de première qualité, du bois de santal, du vinaigre de première main, et fais-en des galettes. Inscris le nom (de ton ennemi) dessus, puis cache-les, en prononçant à la lumière e nom d'Hekate, et dis : "Empare-toi du sommeil d'un tel" ; ton ennemi sera pris d'insomnie et sera effrayé.

Contre la peur et pour rompre un sort : Dis, ... 

Un fragment d'une collection plus ample de recettes grecques, dont la provenance ne peut pas être déterminée (remarquez la colonne endommagée sur la droite). Les recettes sont séparés par de courts traits horizontaux - nommé en grec "paragraphoi," d' notre "paragraphe" - au début de la colonne (à gauche). La première recette est unpetit sort multi-usage ; la seconde offre une protection contre Hécate, déesse chthonienne qui hantait les carrefours et effrayait les passants ; la troisième invoque l'aide de Hécate pour la divination et contre la peine de mort (?!) ; la quatrième invoque l'aide de Hécate à des fins agressives ; le cinquième est un contre-sort, pour dissoudre le sort d'un ennemi contre soi-même. L'ensemble de la collection est organisé thématiquement autour de la figure de Hécateassimilée ici à la déesse babylonienne Ereschigal. Notez l'absence de distinction entre "magie protectrice" - recettes 1, 2, 3, et 5 - et la «magie agressive» de la quatrième recette. De toute évidence, le pouvoir de Hécate était là pour être utilisé - selon qu'il était utilisé pour se protéger ou faire du mal à autrui faisait une petite différence pour le jeteur de sorts.

Dans les invocations sont intégrées des voces magicae, «mots magiques» (c'est-à-dire des mots et des noms non grecs qui étaient considérés comme possédant un grand pouvoir). Les origines de la plupart de ces voces magicae restent obscures, mais elles n'ont sûrement été que des charbia ludiques (comme par exemple "phorba phorba" dans le quatrième sort, cf n°20), tandis que d'autres voces ont été identifiés comme des transcriptions grecques de mots égyptiens, hébreux et araméens. Indépendamment de leur différentes origines, le fait que de si nombreux "mots réapparaissent encore et encore, dans des sources de date et de provenance variées, démontre clairement comment une telle connaissance ésotérique est passée d'un praticien à un autre, d'une culture à une autre, afin de devenir pour ainsi dire un "langage" international du pouvoir rituel. Dans le troisième sort par exemple, nous trouvons les mots "aksei kataski", une partie d'une formule plus longue, de provenance inconnue, comme dans l'antiquité sous les Lettres d'Ephèse, et trouvée dans de nombreuses sources magiques.

Bibliography: PMich; PGM; GMPT. 

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